De l’" accompagnement ", en tant que paradigme
à René Lourau
Jacque ARDOINO (université Paris 8)
Comme le lecteur pourra le voir sans peine, au cours des pages qui vont suivre, les relations entretenues avec René Lourau par l’Université Paris-VIII (mais comme " sous les pavés la plage " dans les institutions restent les hommes), et par cette revue, au long de plusieurs décennies, sont à proprement parler des relations de compagnonnage. Comme telles, elles auront donc été, selon les moments, affectueuses, denses d’estime réciproque, conflictuelles, parfois tumultueuses, entre les uns et les autres, mais, le plus souvent, riches et fécondes avec la recherche partagée de meilleures articulation et intelligibilité du psychique et du social. J’ai déjà dit, par ailleurs, ce que ce courant de pensée avait pu m’apporter personnellement*. Je n’y reviendrais donc pas. Je préfère aujourd’hui lui dédier cet éditorial-article, pour ouvrir ce numéro spécial de Pratiques de formation-analyses en hommage à René Lourau, coordonné par Georges Lapassade, Rémi Hess et moi-même.
Si l'on entend regarder cette notion (plutôt que concept), de nos jours de plus en plus sollicitée, à la façon de la scolastique médiévale, la palette de ses emplois, constituant proprement son "extension", réduite aux seuls champs et domaines qui nous intéressent ici (les pratiques sociales et les sciences qui ambitionnent d'en rendre compte) risque déjà de nous apparaître aussi étendue que variée. Rappelons que nous entendrons par pratiques sociales, tout au long de cet article : les comportements, habitus, coutumes et croyances exprimant et traduisant des systèmes de valeurs culturels et sociaux, que les membres d’une société, d’une communauté, données, peuvent agir ensemble, tout à la fois individuellement et collectivement, en incluant ainsi la part de variation, d’interprétation personnelle, de création, voire de transgression, que comporte toujours l’observance des lois et des règles de vie mutuellement reconnues et acceptées ou subies. Celles-ci peuvent donc être volontairement et consciemment respectées aux plans d’une déontologie, d’une morale ou d’une éthique, mais, tout aussi bien, inconsciemment exercées, à travers autant d’assumptions1. Elles se donnent à lire à travers tout un jeu de " représentations sociales ".
On parlera, dès lors, d'accompagnement aussi bien quand il s'agira d'accompagner des enfants à l'école ou des jeunes en colonie de vacances, d'accompagner un (ou des) client(s) pour des démarches commerciales, financières, administratives ou juridiques, ou de soins palliatifs dédiés à des mourants ; sans exclure, à l'occasion, l'expression bizarre, retenue par la SNCF et les compagnies aériennes, de "bagages ou de personnes accompagnés". Nous aurons donc à nous interroger, un peu plus loin, quand il sera question de la "compréhension" de cette notion, sur les différences de sens et les nuances rapprochant ou opposant : l'"assistance", l'"aide", le "conseil", le "tutorat", "l'entrainement sportif"... à l'"accompagnement". Sans vouloir s'affirmer exhaustif pour autant, le recensement sommaire que nous avons esquissé, quant à de tels emplois et usages, nous conduit aux repérages et regroupements suivants, pour le moment répartis en sept rubriques :
- musique ("partie ou parties accessoires, instrumentales ou vocales,
soutenant une partie principale, vocale ou instrumentale"), l'accompagnement
tout à la fois complète les chants ou les mélodies de solistes ou de groupes et
les met ainsi en valeur en contrastant avec eux, notamment par le rythme qu'il
soutient ; ces arrangements orchestraux supposent tout aussi bien la cohérence
de rapports harmoniques, surtout combinatoires, quasiment pré-accordés et le jeu
vivant, interactif, dynamique, de relations entre des interprètes-partenaires ;
- domaine éducatif, scolaire, universitaire, il est, bien sur, toujours
souhaitable qu'il existe des relations plus adaptées et personnalisées entre
maîtres et élèves, professeurs et étudiants, formateurs et formés, mais plus les
systèmes et les appareils sociaux s’avèrent lourds et bureaucratiques, plus
celles-ci s'amenuisent et se rétrécissent au profit de rapports, voulus plus
neutres, plus objectifs et plus distants. Il en résulte que les mesures
d'accompagnement scolaire requérant à l'évidence une approche particulière,
sinon singulière, comme une " pédagogie spéciale ", ne constituent pas la norme
du plus grand nombre, mais s'adressent à des enfants réputés plus difficiles,
voire à des "cas". De là à prendre une nuance quelque peu péjorative il n'y aura
qu'un pas aisément franchi (" normal " et " pathologique "). Ainsi s'avérera,
durant des siècles, le primat de l'instruction, de l'enseignement et des
apprentissages modélisés, de l'information, privilégiant les "trajectoires", sur
l'éducation proprement dite, reconnaissant mieux les "cheminements" et laissant
leurs places à la communication et à la relation. Dans l'enseignement supérieur,
l'élaboration de mémoires et de thèses, ou d'autres travaux de recherche,
constitueront aussi des formes d'accompagnement, plus répandues celles-là, mais
toujours exceptionnelles, excentriques, par rapport à la "courbe de Gauss", du
fait, cette fois, des niveaux d'excellence ;
- domaine de la formation
professionnelle et de l'éducation continue des adultes, la formation
professionnelle des ouvriers de qualité s'effectuait bien jadis à travers les
rites du "compagnonnage" (tour de France, pour certains, voire d'Europe, pour
d'autres, chefs d’œuvre). La modernisation et l'organisation scientifique du
travail ont abouti à des formations plus standardisées. Mais, en dépit de
contraintes utilitaristes et de besoins accélérés, liés aux révolutions
industrielles successives, il subsiste toujours aujourd'hui quelque chose de
plus personnalisé et de temporel (durée) à travers les pratiques de la formation
continue, à partir de l'émergence, relativement récente dans nos civilisations,
d'une éducation permanente des adultes (long life education). Dépendant en
partie du volontariat, celles-ci s'enracinent plus résolument dans les acquis
antérieurs de leurs ressortissants que les formations dites initiales, plus
traditionnelles, réservées à des enfants et à des adolescents, et, le plus
généralement, administrées a priori, sans grand souci de l'expérience déjà
constituée. Nous nous y trouverons donc fréquemment en présence de démarches
d'accompagnement auxquelles les "apprenants" se retrouveront plus facilement
associés. Les problèmes de recrutement, de sélection, d'orientation et de
reconversion, notamment, viendront encore s'ajouter aux précédents pour requérir
impérativement des formes pédagogiques particulières et singulières :
-
domaine sportif, les fonctions et les rôles de l’entraîneur sportif, encore
appelé coach, qu'il s'agisse de sports individuels (course, saut, athlétisme,
patinage, boxe...) ou collectifs (football, rugby, basket-ball...), aboutissent,
à leur manière, à une démarche d'accompagnement. La relation avec les sportifs
s'y trouve explicitement inscrite dans une temporalité-durée. Il s'agit de les
préparer à des compétitions et à des performances. Mais, justement, ce dernier
terme va nous permettre de mettre en évidence des modèles sous-jacents,
conscients ou inconscients, correspondant à des représentations très différentes
que l’entraîneur peut avoir de ses partenaires. Ce peuvent être, par exemple,
des modèles très mécanistes de relations, assortis des pédagogies conséquentes,
surtout ordonnées aux résultats attendus, en fonction desquels l’entraîneur
entend façonner explicitement sa créature, ou, tout à l'opposé, mais plus
rarement, l'intention de faire essentiellement appel aux modèles propres des
sportifs, à leurs rythmes, à leurs potentialités et aptitudes, pour qu'ils en
fassent, en les développant, des capacités actualisées. On pourrait, au
demeurant, faire la même distinction à propos de la direction d'acteurs ou
d'artistes (danseurs). On retrouve, ici, toute l'importance du fantasme de
maîtrise et de " toute puissance " instituant une asymétrie, à partir de
laquelle des relations de type sado-masochiste pourront se constituer. Le maître
et le "gourou", font ainsi état d'une supériorité et d'une autorité de nature
qui deviennent la condition quasiment sine qua non de la réalisation escomptée.
Nous le verrons, plus loin, un accompagnement plus authentique supposera, tout
au contraire, la reconnaissance de l'altérité et du statut explicite de
partenaire ;
le domaine clinique des soins médicaux et hospitaliers, de la
psychothérapie et de la psychanalyse, la souffrance humaine ne peut faire
l'économie de l'accompagnement, autant dans la perspective d'une guérison, d'un
rétablissement, d'une réhabilitation que dans celle de rechercher des ressources
pour la supporter et la comprendre, l'assumer, en vue de mieux la combattre. En
ce sens, la prévention, le dépistage, le diagnostic, le pronostic et la
thérapeutique, les soins eux-mêmes, supposent bien des démarches
d'accompagnement se référant toujours à une durée. La marque du biologique est
justement cette temporalité permettant une évolution, une maturation, une
appropriation, qu'exclut toujours le " mécanique ". Il y a, à cet égard, un
parallèle intéressant à établir avec l'éducation. En dehors de quelques
interventions ponctuelles, de conception plus mécaniste (pédicurie, petite
chirurgie d'urgence, dentisterie...), les soins ordonnés à partir d'une diathèse
impliquent un "suivi" évidemment durable. La séparation entre le corps et
l'esprit étant loin de s'avérer aussi tranchée que l'auraient voulu les logiques
et les philosophies occidentales traditionnelles, il subsiste des liens
interactifs entre le soma et la psyche (psychosomatique). La coopération des
malades avec les soignants en vue de leur guérison, de l'amélioration de leur
état, apparaît ainsi fondamentale, d'où la nécessité du dialogue, de la
communication, de la compassion, à travers des échanges qui ont aussi des effets
psychothérapeutiques. Ce domaine confronté à des logiques hétérogènes tout à
fait opposées , va être traversé par des contradictions très fortes, aiguëes, ce
qui ne sera pas sans incidences notables sur les ambiguïtés du processus
d'accompagnement et ce qui les rendra plus perceptibles encore que dans d'autres
domaines, pourtant parents, que nous venons d'évoquer. Un tel accompagnement se
voudra effectivement, le plus souvent, "technique", c'est à dire
"professionnel", produit d'une formation qui aura su développer des compétences
spécifiques ad hoc (observation, "écoute", connaissances médicales et
pharmacodynamiques générales et spécifiques, expérience clinique, connaissance
des matériels mis en œuvre...). Les exigences élevées de sécurité intéressant
les personnes soignées, comme la sophistication technologique actuelle
renforcent ce haut niveau de technicité. Tout ceci ne doit évidemment pas faire
oublier qu'il subsiste, par ailleurs, des formes d'accompagnement plus banales
et moins "armées" (familiales, amicales, compagnons de jeux, amoureux...). Mais
cette dimension professionnelle et technique conforte le besoin de maîtrise et
renforce encore le "quasi racisme" opposant les soignants et les soignés. S'y
ajoute, plus particulièrement, le clivage entre normal et pathologique,
profondément enraciné dans notre pensée héritée, avec toutes ses conséquences de
"réification". Enfin, la "gestion des flux" (notamment en milieu hospitalier),
les contraintes de l'organisation et de l'administration, les incidences
budgétaires, les impératifs économiques, entraîneront inévitablement vers un
univers de standardisation, de conformisation, de "globalisation" et
d'homogénéisation, qui se situera aux antipodes des intentionnalités spécifiques
de la démarche d'accompagnement, plus casuistique. Les "techniques
d'accompagnement" qu'on ne manquera pas de vouloir instituer, pour
contrebalancer cette hypertechnicité généralisée, ne suffiront évidemment pas à
en sortir, mais renforceront inévitablement un peu plus cette dernière. Plus
nous nous orienterons vers des soins psychologiques, vers des démarches
psychothérapiques, vers l'aventure psychanalytique, plus le "tact", les qualités
d'écoute, la compréhension, s'enrichiront et deviendront plus subtils, mais la
problématique d'une dialectique "objectivité-(universalité)-intersubjectivité
(particularité)-subjectivité (singularité)" ne disparaîtra pas, pour autant ;
- domaine juridique et social, les incapables majeurs, les "interdits", les
aliénés et les mineurs, réputés ne pas avoir les moyens de soutenir leurs droits
par eux mêmes, dépourvus en conséquence de la capacité "d'ester en justice",
sont ipso facto représentés au regard de la loi par des tuteurs, des
curateurs...(jadis les femmes avaient un statut comparable !). Longtemps, les
citoyens ordinaires ont eu (et ont encore aujourd'hui, au moins devant certains
tribunaux) l'obligation de constituer avocats et avoués pour pouvoir s'aventurer
dans les arcanes de la machinerie judiciaire. Ici encore, l'accompagnement a
pour fonction de protéger, de prendre soin, d'assister, d'aider, au risque de
confirmer des inégalités dues objectivement à des différences de compétences
techniques ou de capacités, mais ressenties subjectivement de toute autre
manière. Nous nous retrouvons, notons le, en présence d'un "quasi racisme"
analogue à celui que nous avons rencontré dans la rubrique précédente. Plus
généralement, la fonction tutélaire d'une administration publique qui protège
les citoyens, au besoin contre eux mêmes, au nom de la loi générale, voire de la
raison d'Etat, constitue aussi, à sa manière, une forme d'accompagnement
(beaucoup plus kafkaéenne il est vrai !) Le partage entre " normal " et "
pathologique " reste encore subrepticement présent en filigrane de l'opposition
:"public"/"privé". Pour ce qui est des pratiques sociales, proprement dites, des
mesures d'accompagnement sont encore édictées aux fins de prévention, de
rééducation, de lutte antidrogue ou antiprostitution, de sécurité routière, de
protection ou d'assistance sociales, d'animation socio-culturelle de quartiers,
dans le cadre de maisons de jeunes, de clubs, ou d'autres formes de vie
associative. Il est, bien sur, toujours souhaitable qu'on propose à celles-ci,
ou au moins qu'elles se donnent, des visées éducatives plus ambitieuses que les
fonctions de contrôle social auquel on les réduit trop souvent encore ;
domaine des solidarités et de la coopération internationale, les relations
internationales sont tissées de liens et d'échanges, conflictuels,ou plus
harmonieux, économiques, diplomatiques, militaires, culturels, techniques,
sociaux. Les divisions de la planète entre Nord et Sud, pays développés et pays
en voie de développement, entretiennent des besoins d'aide et d'assistance en
matière d'urgence humanitaire, de santé publique, de développement économique et
d'éducation. Des actions de coopération seront donc montées, ça et là, tantôt en
fonction d'une politique d'ensemble, tantôt, plus souvent, au " coup par coup ",
en raison de leur intérêt médiatique, au caprice des ambassades. Elles mettront
à contribution des ONG et feront appel à des experts ou à des consultants. Quel
que puissent être les "bons sentiments" affichés, des séquelles
neo-colonialistes s'y nichent encore parfois. Une bonne partie de ces actions,
les plus sérieuses, s'appuyant sur des ONG, mobilisant des consultants et des
coopérants de terrain, peuvent également être considérées comme des
"accompagnements" de partenaires et d'homologues nationaux. L'inscription de
telles actions dans une temporalité-durée est toujours patente.
Il faut encore ajouter à ces rubriques quelques emplois de termes voisins, le plus souvent dans le cadre des grandes entreprises très influencées par la culture américaine du management, notamment les notions de coaching (accompagnement fréquemment individualisé, parfois groupal), de counselling (surtout individualisé) ou de consulting, mais, tout aussi bien, l'usage assez surprenant du mot "tuteur" (toujours individualisé) dans les établissements de l'éducation nationale et de la formation professionnelle françaises. L’" intervention " psychosociologique (Elliott Jaques2, Jean Dubost3), ou institutionnelle (Gérard Mendel4), doit aussi être mentionnée ; le plus souvent portant sur des groupes ou des communautés, parfois plus individualisée, elle intéresse les organisations et les institutions, les entreprises, les administrations, les associations, quant à la circulation de l'information, aux processus de communication, aux styles de leadership, de commandement, de management, au " climat " et au " moral " dépendant des indices de performance et de satisfaction...
Du point de vue de sa "compréhension", la notion est aussi particulièrement intéressante. Rappelons, pour commencer cette nouvelle analyse, plus délibérément sémantique, ce que nous avons pu remarquer, au long des pages précédentes : la plupart des usages du terme restent intimement liés à une temporalité-durée, constituant une forme de processus. C'est un point essentiel. L'accompagnement, qui suggère immédiatement l'espace (le cheminement commun, le "bout de route" fait ensemble) ne peut toutefois se comprendre proprement que dans le temps et l'histoire vécus. C'est justement ce qui va distinguer le " passage " de Winnicott, ou la "passe" de Lacan, de l'accompagnement tel que nous l'entendons. L'image très usitée du "passeur" suppose bien le franchissement d'une ligne, d'un "cap". Le symbole éternel de la traversée du Styx reste présent. On y progresse, certes ! on y change de territoire et, peut être, d'ordre, mais on ne découvre pas forcément, pour autant, que le changement, la modification (Michel Butor) attendus impliquent beaucoup plus encore une initiation-réitération, une altération, une maturation et une appropriation, qui, elles, ne peuvent être que temporelles. L'accompagnement s'effectue donc à la fois dans le temps et dans l'espace. La vision du monde et la philosophie d'Héraclite doivent impérativement s'y conjuguer avec celles de Parménide. Ce premier point essentiel nous a donc conduit à un carrefour épistémologique dont procéderont ensuite des paradigmes tout à fait hétérogènes : mécanique, biologique, dialectique...
L'accompagnement suppose, encore, une relation subjective, ou mieux intersubjective, entre des personnes, des sujets, et non seulement des rapports, qui pourraient être entendus comme plus objectifs, plus "neutres", dépourvus d'affectivité ou d'émotionnalité. Ces relations sont interactives. En dépit des glissements sémantiques fréquents dans l'univers industriel et commercial, on accompagne toujours des personnes et non des objets (des bagages, notamment). Nous ne sommes plus dans l'ordre du "transport" mais dans celui du transfert (au sens psychanalytique du terme). Ces relations peuvent alors être dites impliquées (dans l'acception de l'analyse institutionnelle). La mémoire qui les " affecte " (Jeanne Favret Saada5) n'est pas la simple engrammation informatique, propice aux rangements, disponible, intacte (du fait même de sa numérisation possible), mais une mémoire subjective, affective, vécue, faite de souvenirs et d'oublis, d'" actes manqués ", de témoignages et de représentations.
La démarche d''accompagnement, enfin, pourrait et devrait comprendre une position éthique (tout à fait indifférente aux prescriptions déontologiques classiques), et cela d'autant plus quand elle se voudra professionnelle. Il s'agirait, cette fois, d'interrogations axiologiques mobilisant des systèmes de valeurs. Une telle philosophie de la relation serait, alors, celle d'une réciprocité entre des partenaires, qui ne seraient pas, pour autant, conçus à l'identique, mais explicitement reconnus comme " autres ", témoignant entre eux d'un pluriel, de différences et d'hétérogénéités6. Cette altérité, définie comme rencontre d'un "autre" qui, de par ses désirs et intentionnalités propres, s'oppose7 à moi, à mes désirs, à ma volonté de toute puissance et de maîtrise, s'impose, ici, en tant que limite. La réciproque est évidemment vraie, quant à la résistance que j'opposerai à mon tour à la volonté de domination de l'autre à mon égard. Je deviendrai aussi sa limite. La reconnaissance mutuelle de ces limites réciproques permettra justement de repérer et de distinguer entre certaines formes d'accompagnement plus autoritaires, plus modélisantes, axées vers l'imitation, le mimétisme, la reproduction du même (guidance, tutorat, dressage, conditionnement, maîtrise...), et d'autres, plus respectueuses de l'altérité et de ses potentialités d'originalité et de création (clinique, psychothérapie, éducation, sous réserve de la prise en compte d'une telle éthique et d'une telle philosophie). Nous sommes également ainsi aux confins du politique8 (régimes autoritaires, démocratie directe ou représentative).
Ce sont, au demeurant, ces mêmes caractéristiques (temporalité, relation, intersubjectivité, réciprocité) qui vont justement nous permettre d'approcher au plus juste la notion de clinique, qui a été souvent convoquée au fil de ces pages, en rappelant que celle-ci, notion originellement médicale (ce que le soignant apprend au chevet du malade) s'est étendue aujourd'hui à une bonne partie des sciences humaines et sociales, pour désigner la situation, le terrain et le type de relation professionnelle, temporelle, intersubjective, soucieux de l'altérité et de la réciprocité, dans les échanges, en vertu duquel des services (marchands ou bénévoles) pourront être apportés par certaines personnes à d'autres qui en ont, explicitement ou implicitement, exprimé la demande. Du point de vue du savoir et de l'épistémologie, la clinique se veut essentiellement intelligence de la particularité et de la singularité. Elle s'intéresse à des "cas", à des monographies, différant ainsi sensiblement des voies ordinaires, plus universelles, du savoir. En cela, la clinique est une casuistique qui privilégiera naturellement des approches plus qualitatives. Comme Michel Foucault l'a excellemment montré9, la clinique longtemps réduite à la seule observation (l'espace) s'est adjointe aujourd’hui l'écoute (plus temporelle). Au plan de l'action, l'autre visée de la clinique est la transformation de la relation et de la situation, son évolution, le changement subjectif, interpersonnel ou social (altérations).
L'étymologie cautionne, pour sa part, ces jeux et ces effets de sens. "Accompagner" semble être formé, en français, à partir de compagnon, compagne et compagnie (du latin cum et panis : pain) induisant l'idée de partage de quelque chose d’essentiel qu'on retrouvera également avec la notion de partenaire (partager, prendre sa part). Ainsi, la "dame de compagnie" accompagne littéralement une autre personne. Si, comme nous l'avons vu, une philosophie (une idéologie ?) paritaire, égalitaire, reste souhaitable, au moins idéalement, pour comprendre comment peuvent être réunis les termes d'une telle relation qui, à l'extrême, n'est pas non plus sans liens avec la compassion bouddhiste10, une ambiguïté subsistera souvent néanmoins quant au statut réel de l'accompagnateur. Tantôt, celui ci jouira d'une plus grande autorité, ou compétence, notamment dans les usages scolaires ou médicaux (jusqu'aux compagnons du "tour de France qui ambitionnent de devenir "maîtres"), tantôt ceux qui accompagnent des leaders (De Gaulle, Mao Tsé Toung, Fidel Castro, le Ché...), qui les " suivent " et en deviennent les "compagnons", apparaissent comme des disciples ou des épigones. Les questions du pouvoir et de l'autorité ne peuvent donc être complètement évacuées de ce type de relation. De son côté, la forme pronominale d'accompagner : "s'accompagner" induit, de façon neutre, abstraite, des rapports entre des idées, des concepts, des notions, plus que des relations humaines. Ainsi, la tempête s'accompagne de vents et de pluie ; un grand bonheur s'accompagne d'émotions diverses ; la pauvreté s'accompagne parfois de la maladie...
Bien qu'on puisse toujours rencontrer des formes plus spontanées, plus naturelles d'accompagnement, moins systématisées ou instrumentalisées, moins institutionnalisées, ce que nous appelons, ici, démarche d'accompagnement est constitué d'un ensemble de comportements et de conduites, étayés par des savoirs, théoriques et pratiques, constituant un type de professionnalité, même si ceux qui les exercent n'en font pas nécessairement un moyen d'existence, aux fins d'une évolution des relations intersubjectives qui en constituent justement la matière, et, partant, une réinterrogation des opinions, des croyances, des représentations, des attitudes qui expriment les systèmes de valeurs concernés. Cette démarche peut intéresser notamment les niveaux microsocial et mesosocial, dans les différents domaines que nous avons recensés, mais n'a pratiquement pas d'autre incidence, au niveau macrosocial, que celle des effets globaux de l'éducation. Il y aura donc des accompagnements de groupes, d'équipes (psychologie sociale et psychosociologie, sciences de l'organisation), comme des accompagnements plus individualisés et personnalisés (soins, psychothérapies, éducation). Compte tenu des aspects contradictoires qu'elle peut présenter, de ses ambivalences et de son ambiguïté, cette notion bénéficiera utilement d'une lecture multiréférentielle11.
Mais, beaucoup plus encore, que des comportements techniques et
professionnels destinés à répondre à des besoins spécifiques, correspondant, le
plus souvent, à des dysfonctionnements locaux, l’intentionnalité même de
l’accompagnement nous renvoie à une problématique plus générale de l’éducation
et des pratiques pédagogiques, supposant elles mêmes une théorie du sujet et des
relations que chacun peut entretenir avec autrui. Quelles définitions de leurs
partenaires se donnent au fond les éducateurs, les formateurs, les enseignants,
à travers leur action, au seuil et tout au long de leur entreprise ? Comment se
représentent-ils les " formés ", les élèves, les étudiants, les " apprenants " ?
L’étymologie du terme " pédagogue " constitue déjà une tare assez lourde. Il
s’agit de " conduire " l’enfant. On retrouvera aussi, largement répandues dans
nos cultures, les images de " fuhrer ", de " duce ", de " gaudillo ", au plan
plus politique des peuples et des nations. Les pédagogies de l’instruction, de
l’enseignement et de l’apprentissage resteront ainsi longtemps marquées par les
modèles de " guidance ", de " maîtrise ", de " contrôle ", d’" exemplarité ", de
" tutorat ". L’autonomie et la capacité critique projetées, et renvoyées au
terme des apprentissages, sont rarement prêtée, reconnues, aux intéressés dans
la durée vécue de leurs formations. Ce sont les " maîtres " et les formateurs
qui " savent ". Ils dirigent en conséquence. Il faut leur ressembler. Les
philosophies de " l’aide " et de " l’assistance " qu’on retrouve aussi bien dans
le " travail social " que dans les démarches de coopération internationale, à
partir de l’hypothèse de " sous-développements ", ne constituent que des
variantes plus ou moins nuancées, quand ce ne sera déguisées, d’une telle norme.
Au contraire, l’idée d’accompagnement vient, entre autre, de la révolution
rogerienne, souhaitant une centration plus résolue sur la personne de
l’apprenant. Moins que de guider, conduire, il s’agit, alors, essentiellement,
de se mettre à l’écoute de celui qu’on accompagne, postulé explicitement seul
capable en définitive de choisir où il veut aller et comment il entend s’y
prendre. Bien entendu, des propositions de moyens, des mises à disposition de
méthodes, de techniques, d’instrumentations diverses, s’ajouteront toujours au
fur et à mesure d’une telle démarche12, mais le changement majeur d’optique,
d’ordre épistémologique, réside dans l’acceptation (oh combien difficile !) du
fait que le sujet est compris comme seul à même de se déterminer, sans
préjudice, pour autant, il est vrai, des altérations qui l’affecteront toujours
utilement13. Le modèle dominant n’est plus alors celui d’une transmission, voire
d’une tradition, de savoirs, ou de savoir-faire, mais en termes, cette fois, de
savoir-être et devenir14, de " provoquer " (ce qui laisse au conflit toute son
importance), d’inciter, d’appeler le sujet (hors toute forme de manipulation) à
élaborer en lui même les représentations, les systèmes de valeur, les modes
opératoires, qui s’avéreront nécessaires à sa relation au monde et à son action
au sein de celui-ci. Le rôle traditionnellement dévolu à l’imitation en sortira
par bonheur considérablement relativisé. L’éducation, scientifiquement articulée
à des pôles disciplinaires hétérogènes et contradictoires entre eux (biologique,
génétique, physiologique, psychologique, psycho-social, sociologique,
économique, anthropologique...), riche de ses interrogations critiques :
philosophiques, épistémologiques, éthiques, politique, englobe ainsi la
pédagogie, la didactique et la formation.
Le projet spécifique de
l’éducation populaire reprend, bien évidemment, cette visée éducative
ambitieuse, qui loin de se contenter d’une mise à disposition de rudiments
impérativement nécessaires pour la survie de l’espèce, cherche, pour le plus
grand nombre, un développement de la fonction et des capacités critiques tout en
s’efforçant de lutter contre la tendance très forte, et continuellement
renouvelée, vers une réification dogmatique et idéologique de l’inégalité.
Certes, il ne s’agit nullement, ici, de contester ou de nier, que les individus,
les personnes, les sujets, les cultures ne se sont pas élaborés à l’identique au
cours du temps et de l’histoire. Les pratiques l’attestent à l’évidence. Mais le
problème politique et social majeur réside dans le fait que la variété des
individus et des espèces ne justifie et ne cautionnera donc jamais, même pour
des raisons pratiques d’efficience et de performance, la hiérarchisation
définitive, immuable et irrévocable de telles inégalités. La solution n’est même
pas dans la réduction de ces inégalités, si bienvenue soit elle dans une
certaine mesure, qui risquerait, par contre coup de mythifier l’égalité au
risque de l’uniformité. L’égalité (philosophique, éthique, juridique) des
droits, voire des chances, n’est ni la réduction à l’identique, ni la conformité
psychologique et sociale aux modèles. De par ses impératifs de gestion des flux,
d’administration, de dévouement au service public, l’école, même républicaine,
peut parfois déraper, surtout quand elle cède aux séductions néo-libérales
contemporaines (avec ses conséquences de mondialisation-globalisation. C’est
pourquoi nous définissons ici l’accompagnement comme un véritable paradigme
structurant et éclairant les intentionnalités et les pratiques des éducateurs
notamment, mais aussi bien de tous ceux qui se retrouvent impliqués dans une
relation au monde et à autrui, en faisant la part, pour mieux les conjuguer
ensuite, de l’universalité, de la particularité et de la singularité dans un
procès proprement dialectique. Surtout dans la perspective actuelle d’une
formation continue des adultes, les limites ordinaires de l’école, de
l’université, de la formation professionnelle sont largement et légitimement
débordées. Les solidarités et la coopération internationales relèvent, pour
l’essentiel, de la même problématique. A partir d’une reconnaissance,
n’entraînant pas pour autant dépréciation et hiérarchisation, du pluriel, de la
diversité et de l’hétérogénéité, des cultures (plus encore que des
civilisations) et des identités sociales, nationales, personnelles, impliquant
temporalité, durée et histoire, il s’agit de la recherche d’une harmonisation en
cours15 (et non d’une " harmonie préétablie ") progressive, toujours menacée et
toujours à reconquérir, voire encore à inventer16, à travers une praxix
proprement dialectique beaucoup plus qu’à la faveur de pratiques " liftées ",
réifiées à force de se vouloir optimisées17..
Jacques Ardoino**, Evolène, août 2000.
(*) Cf. Editorial, Pratiques de formation-analyses, n° 28, 1994. Cf.,
également, Jacques Ardoino et René Lourau, Les pédagogies institutionnelles,
Paris, PUF, collection " pédagogues et pédagogies ", 1994, et " Analyse
institutionnelle et formation (dans et hors les murs) ", Pratiques de
formation-analyses, n° 33-34, 1997.
(**) Professeur émérite, Sciences de
l’éducation.
Notes :
(1) Dougles Mc. Gregor. Terme employé dans les langues anglo-saxonnes,
américaine notamment, désignant des systèmes d’attitudes, de croyances, de
valeurs, des patterns (modèles), le plus souvent inconscients, structurant et
influençant nos comportements et nos conduites.
(2) Cf. Elliott
Jaques, Intervention et changement dans l'entreprise, Dunod, Paris, 1972.
(3) Cf. Jean Dubost, L'intervention psychosociologique, Collection
Sociologies, PUF, Paris, 1987.
(4) Cf. Gérard Mendel et al. ,
L'intervention institutionnelle, Payot, Paris, 1980. Cf. René Lourau, L’analyse
institutionnelle, Editions de Minuit, Paris, 1970 et Jacques Ardoino et René
Lourau, op. cit..
(5) Cf. Jeanne Favret Saada, "Etre affecté" in Gradhiva,
n° 8, Paris, 1990.
(6) Interlocuteurs, associés, partenaires : de ces trois
termes, le premier et le second nous semblent avoir un sens plus technique, plus
spécifique, plus abstrait, et donc plus précis, tandis que le dernier s’avérera
plus riche, du fait même de son ambiguïté et de l’ouverture de sa définition. Le
statut d’interlocuteur oscille pourtant entre le droit et le fait. On peut être
interlocuteur dans la rue, au hasard comme dans un colloque, autour d’un table,
mais aussi interlocuteur institué en fonction de droits dans un conseil
d’administration ou de direction ou encore interlocuteur désigné par une
autorité. En Droit, il existe aussi une variété de jugements appelée jugements
interlocutoires. Dans son acception la plus générale, interlocuter (du latin
interloqui : interrompre) c’est converser ensemble, voire débattre. C’est
essentiellement l’échange de parole qui fait lien, ici, sauf quand la discussion
est en outre centrée, cadrée, par l’effet d’un jeu institutionnel (négociation,
médiation...). La notion d’interlocuteur peut trouver place dans le cadre de la
transmission de l’information mais devra être comprise très différemment en
marquant de surcroît ses insuffisances. Elle correspondra assez bien, à la
limite, en raison de la rationalité qui s’y retrouve fréquemment attachée et de
son caractère plus abstrait à l’approche de l’agir communicationnel chez
Habermas. De son côté, l’associé l’est essentiellement en fonction de droits
légitimes (propriété) dans un cadre tout à la fois juridique et organisationnel.
En ce sens l’associé est à la fois interlocuteur de droit et de fait. Il a droit
de parole et il participe aux décisions en fonction de ses pouvoirs (nombre de
parts). A l’origine, les partenaires (de partager, prendre sa part) étaient les
membres (égalité au moins théorique et relative) d’une bande de brigands qui
prenaient leur part, (leur " pied " dans la mesure ou le " pied " constituait
souvent l’unité de mesure) du butin, fruit de leurs larcins, qu’ils devaient
partager. En fonction d’acceptions plus modernes, il y a aussi des partenaires
de jeux, sportifs notamment, des partenaires sexuels, des partenaires de
travail... Des formes d’agir et de faire s’y retrouvent toujours intimement
mêlées. L’importance de l’affectivité consciente et inconsciente s’y trouve
toujours soulignée à travers le jeu des affinités et les motivations (en tout
cas beaucoup plus impliquante que l’affectio societatis des juristes). Plus que
dans le cas de l’interlocution ou de l’association, la dynamique propre des
interaction y apparaît en filigrane. Notons, à cette occasion, que, du fait des
intérêts différents et de la non-coïncidence préétablie des désirs de chacun, le
syntagme " partenaires-adversaires " se vérifie presque toujours au niveau des
pratiques. Ainsi, dès l’histoire de la notion, la complicité (autant pénale que
libidinale et transgressive) voisine avec la " voix au chapitre " et le pouvoir
de co-décision. Le mot nous semble particulièrement intéressant, au niveau de la
richesse, de la complexité et de l’ambiguité des pratiques. L’affectivité et la
rationalité, avec leurs hétérogénéités respectives, peuvent s’y retrouver
conjuguées. Si la fidélité de la transmission de l’information reste bien la "
règle d’or " d’un univers logico-mathématique (entraînant ipso facto le
caractère pathologique du bruit, des distorsions, des parasites et des biais),
la trahison dans le processus de communication explicitement intersubjective
reste la conséquence normale de l’appropriation recherchée par chacun. Elle
fondera au moins la nécessité du recours à l’interprétation. Les aires
respectives des associés ou des interlocuteurs restent relativement
indifférentes aux définitions du sujet et de l’autre homogénéisées et réduites à
leur plus petit dénominateur commun, tandis que les partenaires ne peuvent
exclure celles-ci de leurs temporalités propres. Il y a toujours, ainsi, au
moins en principe, quelque chose de l’ordre du politique, éventuellement
démocratique, sous-entendu dans les relations entre partenaires. La légitimité
du conflit dans les échanges humains en résulte. La circulation de l’information
ne suppose pas nécessairement des partenaires, ou des associés, la
communication, prenant en compte l’intersubjectivité et les relations, les
requièrent tout au contraire. L’éducation, la formation, l’instruction,
l’enseignement, obéissent à cette même problématique de l’altération. Nos
enfants ne seront eux mêmes qu’après s’être littéralement arrachés aux désirs de
leurs parents, aux projets " pour eux " ou " sur eux ". " Trahison " ou
altération légitimes, sont donc les questions qui s’imposent, ici, au moins
autant que la " lettre " des termes. Leur rejet au niveau des relations implique
le fantasme de domination qui s’y abrite : l’ambition de maîtrise. Nous frôlons
aussi, à cette occasion, les thèmes anthropologiques de l’impureté et de la
pureté que nous analysons par ailleurs (Cf. Jacques Ardoino et René Lourau, " Le
pur et l’impur " in Pratiques de formation-analyses, n° 33, PUV, Paris 1997) .
Les enseignants ont-ils, suffisamment, réfléchi à cet aspect des choses ? Ils
affectionnent encore trop volontiers de s’entendre appeler " Maître ". Ce
dernier terme risque alors de constituer une véritable malédiction pour le corps
enseignant, dans la mesure où il réactive et conforte un fantasme de toute
puissance, insidieusement niché au cœur des taches aveugles de la raison. Il y a
bien une autre acception, dans notre langue, du mot " maîtrise, mais comme par
hasard elle reste mal connue, pour ne pas dire ignorée du plus grand nombre (Cf.
Jacques Ardoino, sur ces deux formes de maîtrise in " Eloge de la complexité ",
Esprit, n° 2 février 1982). C’est une autre histoire !. La " fabrication "
contemporaine, dans le domaine de l’administration et de la gestion, notamment,
du terme " partenariat ", plus technique, réduit aux " rapports " (plus qu’aux "
relations ") de partenaires institutionnels ou organisationnels, constituant un
dispositif structuré par des procédures, laissant toujours de côté les
partenaires directs (élèves, enseignants, parents, étudiants, malades,
soignants, collaborateurs et subordonnés...), et leurs processus de
communication, vient naturellement masquer et oblitérer cette problématique
complexe.
Ces trois notions ne sont donc ni synonymes si substitutibles
l’une à l’autre. Elles conservent chacune leur utilité. Il s’agit de les
employer à bon escient, en fonction du cadre auquel elles se rapportent.
Partenaires-adversaires. Cf. Jacques Ardoino et Jean-Pierre Moreigne,
Commandement ou management, participation et contestation, Mame-Hachette, Paris
1970, Epi, Paris, 1975. Cf., également, Jacques Ardoino et André de Peretti,
Penser l’hétérogène, Desclée de Brrouwer, Paris, 1998.
(7) "Négatricité",
"capacité de tout être vivant, a fortiori humain, de vouloir et de pouvoir
opposer ses propres contre-stratégies aux stratégies dont il se sent devenir
l'objet de la part d'autrui". Cf. Jacques Ardoino, Collection Education et
Formation, pédagogie théorique et critique, Les Avatars de l'éducation, PUF,
Paris, 2000.
(8) Cf. Jacques Ardoino, Education et politique, Collection
Hommes et Organisations, Gauthier Villars, Paris, 1977 (traduit en espagnol et
en portugais)., 2éme édition, Economica, Paris, 1999.
(9) Cf. Michel
Foucault, Naissance de la clinique, une archéologiedu regard
médical,Collection Galien, PUF, Paris, 1978.
(10) Sans grand rapports
avec le show business de la politique américaine, voire le new age, cf.
notamment la "compassion républicaine" de Marvin Glavsky, contribuant sous forme
de "conservatisme compassionnel" au programme électoral de George W. Bush,
candidat à la présidence des Etats-Unis d'Amérique, à l'occasion des prochaines
élections.
(11) Cf. Pratiques de formation-analyses n°s 25-26 et 36,
"L'approche multiréférentielle en formation et en sciences de l'éducation" et
"Le devenir de la multiréférentialité", Université de Paris-VIII, 1993 et 1998.
(12) Ce renversement, pour radical qu’il puisse se vouloir, ne doit pas, non
plus, s’abîmer dans un absolu qui condamnerait aussi une telle position pour
excès d’idéalisme et de " psychologisme ". On se souviendra des questions
utilement posées par Georges Snyders : Ou vont les pédagogies non-directives,
PUF, Paris, 1973.
(13) Si, nous revenons, maintenant à l’acception musicale
du terme, nous nous apercevrons sans peine que ce que celle-ci désigne reste
justement subordonné au jeu des parties principales. Ici, encore
l’accompagnateur est à l’écoute.
(14) Terme que nous avons introduit, dès
1963, dans la première édition de Propos actuels sur l’éducation, collection "
Travaux et Documents ", Institut d’Administration des Entreprises de
l’Université de Bordeaux. Réédité chez Gauthier Villars, collection " Hommes et
Organisations ", Paris, 1966. 6ème édition, 20ème mille, Paris, 1978. Traduit en
espagnol (Rialp), en portugais (Herder), en japonais (Presses universitaires de
Tokyo).
(15) Cette dernière notion est intéressante pour illustrer
notre propos à plusieurs égards. Dans le cadre des relations internationales et
de la libre circulation des personnes, de l’égalité des droits et des chances,
mais compte tenu de la diversité et de l’hétérogénéité des cultures et des
capacités individuelles s’est naturellement trouvé posé le problème
d’ajustements et d’aménagements entre les systèmes éducatifs nationaux, voire
régionaux permettant à quelqu’un de faire ses études dans un pays et de
travailler ensuite dans un autre ou de commencer ses études dans un pays et de
les poursuivre dans un autre. La notion d’harmonisation des diplômes et des
formations a été ainsi proposée notamment par le Ministre Claude Allègre, pour
permettre de sortir de l’enfermement classique (diplomatique, juridique et
administratif) supposant des accords préalables, bilatéraux ou plurilatéraux,
pour pouvoir contrôler ensuite, cas par cas, la conformité par rapport à ces
normes et à ces modèles (équivalences, homologations). L’idée même de démarche
d’harmonisation des diplômes et des formations, (impliquant action, relation
entre partenaires non représentés à l’identique, hétérogénéité, progressivité,
temps, durée, histoire, négociation...) est alors philosophiquement parente de
celle d’accompagnement, parce que participant de la même philosophie et
privilégiant les mêmes valeurs. Plus résolument qualitative, elle est mieux
servie par une démarche d’évaluation que par des procédures de contrôle. Or, à
l’occasion de rencontres internationales et d’une conférence ministérielle des
Ministres de l’éducation européens et latino-américains, certains partenaires
s’avisent que, dans leurs langages respectifs, l’harmonisation peut encore
contenir des nuances hégémoniques. Ils proposent donc de remplacer désormais
cette notion par celle de convergence. Ce nouveau choix sémantique a largement
de quoi laisser perplexe. L’adjectif " convergent ", puis le verbe " converger "
(du latin de basse ep. : convergere, lui même composé à partir de vergere "
incliner vers ", " tendre ensemble vers le même but, le même point ", "
s’étendre ", " se diriger vers ", antonyme : " diverger "), apparaissent,
respectivement, dans notre langue vers 1626 et 1720. Le substantif " convergence
" s’établit, pour sa part, aux environs de 1675, réservé, (comme divergence),
aux emplois scientifiques. Comme toujours, ces termes conserveront ensuite,
profondément ancrée en eux, l’empreinte de leurs origines sémantiques, en
l’occurrence : l’intentionnalité rationaliste à portée universelle, privilégiant
à l’occasion l’espace ou l’étendue abstraite (acceptions plus géographique ou
logique). Plus encore que les variations de leurs " formes ", constituant leurs
avatars, au fil de leur histoire, ce sont leurs philosophies sous-jacentes,
orientant leur sens, qui nous intéressent surtout, ici. Converger implique des
routes distinctes qui se rencontrent et se rejoignent ensuite pour réaliser ou
approcher une unité, à tout le moins affirmer une homogénéité. Nous pourrions
ainsi définir la " négociation " comme la réalisation progressive, temporelle,
d’une économie optimale des convergences et des divergences, à partir d’un enjeu
explicitement mis en discussion. Le Droit ou l’économie contemporains vont
effectivement s’accommoder de telles significations qui présentent toutefois
l’inconvénient d’estomper le caractère conflictuel des processus dynamiques,
voire des sacrifices exigés et consentis, à propos d’un enjeu donné, et la
dimension temporelle (durée), qui s’avéreront nécessaires au sein des pratiques
pour permettre un tel rapprochement des vues. La quête d’une identité
logico-mathématique y reste, selon nous, prégnante dans l’attente de
convergences surtout raisonnables. Le terme dont nous pensons avoir besoin pour
cette reconnaissance mutuelle de formations et de diplômes suppose au contraire
le deuil d’une telle unité et l’acceptation d’un pluriel valorisé, en vertu de
laquelle il n’existe plus nécessairement de one best way. Les récents
développements des travaux sur le génome humain peuvent conduire à penser, trop
précipitamment, comme l’avait déjà fait Berthelot, à partir de la " combinatoire
" chimique (table de Mendelsonn), et, sans doute, après bien d’autres, enivrés
par l’ordre établi par une systématique, classifiant les genres et les espèces,
qu’il n’y a plus désormais de mystère dans la quête d’une intelligence de
l’univers. Ce serait justement négliger de tels précédents, et confondre
abusivement l’ordre effectivement possible à l’intérieur d’une axiomatique
(ensemble hypothético-déductif, logique et cohérent, de propositions construites
à partir de l’acceptation préalable et non démontrable d’axiomes et de
postulats), et encore tant qu’il n’a pas rencontré les limites de sa
réfutabilité, et l’existence parallèle, simultanée, mais non nécessairement
combinatoire, de plusieurs axiomatiques autres, distinctes, hétérogènes. Le sens
privilégié par l’idée de convergence est celui du mouvement, du déplacement,
évidemment référé à un espace, concret réel, ou imaginaire et symbolique ; de ce
fait, il est pensé comme monoréférentiel et pratiquement homogène, alors qu’aux
regards multiréférentiels, comme à l’écoute, de sémantiques plus exigeantes il
apparaîtrait aussi pluriel, contradictoire, ambivalent... On se trompe ainsi de
discours. L’idée de convergence convient assez bien à l’économique et pas du
tout au politique. Comme on pouvait s’y attendre, on trouve aujourd’hui une
préférence affichée pour la notion de convergence sous la plume de Jean-Marie
Messier (Vivendi), plaçant résolument la politique au service de la " nouvelle
économie " et des " nouvelles technologies de l’information et de la
communication ". Nous sommes, alors, de plein pied dans la mouvance néolibérale
quêtant comme son nouveau " graal " la globalisation-mondialisation. On se
trompe ainsi de discours. L’idée de convergence convient assez bien à
l’économique et pas du tout au politique. Comme on pouvait s’y attendre, on
trouve aujourd’hui une préférence affichée pour la notion de convergence sous la
plume de Jean-Marie Messier (Vivendi), plaçant résolument la politique au
service de la " nouvelle économie " et des " nouvelles technologies de
l’information et de la communication ". Nous sommes, alors, de plein pied dans
la mouvance néolibérale quêtant comme son nouveau " graal " la
globalisation-mondialisation. Dans les domaines scientifique et technique,
aujourd’hui, les " questions " ne sont plus seulement de " méthodes ", elles
portent tout autant sur les préalables épistémologiques impliquant des systèmes
de valeurs et des " visions du monde " ; en cela, elles sont aussi
éthiques et politiques. Les " points " premiers, sinon fondamentaux, d’une
rencontre sur des terrains concrets, impliquant des relations intersubjectives,
interculturelles et sociales, sont justement la reconnaissance des exceptions,
des particularités et singularités, où s’enracinent aussi les identités, mais,
cette fois, dans une temporalité-historicité, quelles que puissent être, par
ailleurs, les ambitions légitimes d’une intelligence plus résolument
universelle.
(16) Et non des " gadgets " contemporains de l’intermédiation
en vertu desquels des médiateurs professionnels, des experts de la
médiation, prétendent de façon bouffonne réinjecter du symbolique dans la
fonctionnalité du social pour mieux le pacifier. La réalité du temps-durée est
ici essentielle, tandis que nous nous abimons frénétiquement dans un " ici et
maintenant " permanent et dans le " virturl ". Cf. Jacques Guigou, avec lequel
nous nous retrouvons souvent en accord, " Médiation ou combinatoire de
particules trasductives ", inédit, Montpellier, 2000.
(17) Cf. Francis
Imbert, Pour une praxis pédagogique, préface de Jacques Ardoino, PI, Matrice,
Paris, 1985.